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Quand être trop intelligent devient un handicap

On leur a dit qu’ils souffraient de trouble de la personnalité, de déficit d’attention, ou qu’ils étaient tout simplement incompétents. Mais en réalité, leurs échecs étaient dus à leur trop grande intelligence.

« Moi, le système m’a échappé complètement, constate Olivier Laroche, 42 ans, dont le quotient intellectuel dépasse 145. Tout au long de ma vie, je me suis fait traiter d’incompétent par mes professeurs ou mes employeurs. »

Le programmateur de métier a appris qu’il était surdoué il y a un an, presque jour pour jour. Une révélation qui a chamboulé sa vision de sa propre vie, assure-t-il.

M. Laroche fait partie de la Triple Nine Society (TNS), un « club social » très exclusif dont l’accès n’est permis qu’aux personnes ayant un QI de plus de 145.

Le Journal s’est entretenu avec quatre Québécois qui font partie de cette association sélecte. Deux d’entre eux ont requis l’anonymat par crainte d’être jugés par leur entourage.

Olivier Laroche

Benoît Philie - Agence QMI

En marge

« Ce sont des personnes qui peuvent détonner en société », explique la neuropsychologue Marianne Bélanger.

Car cette très forte intelligence, que possède seulement 0,1 % de la population, est loin d’être un gage de réussite.

M. Laroche a eu un parcours scolaire difficile, ponctué d’échecs et de décrochages.

Les choses ne se sont guère améliorées dans le monde professionnel où il a été mis à la porte au moins 5 fois au cours des 15 dernières années, malgré des compétences exceptionnelles en programmation.

Il n’a toutefois jamais complété sa formation dans le domaine.

« C’est toujours la même histoire. Les premiers 6 mois, l’employeur me présente à ses clients comme étant le génie qu’il vient de se payer. L’autre 6 mois, je suis un employé bien normal, puis les derniers 6 mois, il se demande pourquoi il m’a engagé et il me met à la porte », raconte-t-il.

Médicaments

Jusqu’à tout récemment, M. Laroche pensait qu’il avait un trouble de déficit d’attention associé à un trouble de personnalité limite, un diagnostic que lui ont donné plusieurs médecins depuis son jeune âge, accompagné de diverses prescriptions.

« J’ai eu plusieurs étiquettes au cours de ma vie et on m’a fait prendre plein de médicaments, pendant des années... des dérivés d’amphétamines, comme le Concerta, et des anti-anxiété, dit-il. Mais depuis, j’ai tout arrêté ça. »

Le père de famille ne travaille plus depuis trois ans. Il s’occupe maintenant de son fils de deux ans et de la fille de sa conjointe, à la maison, et consacre son temps à l’écriture d’un blogue de cuisine.

« Les gens sont très envieux d’un diagnostic comme ça, mais ça t’isole énormément. Je ne me sens pas comme le monde normal. Et je ne me place pas au-dessus des gens, au contraire. Je doute constamment de moi », admet M. Laroche.

Il dit toutefois qu’avec le recul, il comprend mieux la nature de ses nombreux échecs.

« Si j’avais eu mon diagnostic à 10 ans, qui sait où je serais aujourd’hui ? Parce que, pendant la vingtaine, je ne me trouvais pas très intelligent et ça m’a nui », admet-il.

On aime croire qu’ils travaillent tous pour la NASA ou qu’ils sont en lice pour les prix Nobel. Mais bien qu’ils soient considérés comme des génies, les gens avec un très haut quotient ont souvent un parcours parsemé d’obstacles.

« Ces personnes ont une intelligence très intense qu’on peut à tort prendre pour un trouble de déficit d’attention. Et ce n’est pas un gage de réussite, loin de là », explique la neuropsychologue spécialisée en douance, Marianne Bélanger.

Le commun des mortels a une intelligence moyenne correspondant environ à un score de 100. Environ une personne sur 1000 possède un QI de plus de 145, soit 0,1 % de la population.

La douance, qui se détecte entre autres à l’aide de tests d’évaluation du quotient intellectuel, est cependant un sujet encore sensible dans la province et attire rapidement les critiques.

Incomprises

En 10 ans de carrière, Mme Bélanger a diagnostiqué 6 personnes ayant un très haut QI.

« Ils arrivent dans mon bureau parce qu’ils se cherchent et veulent comprendre pourquoi ils sont différents, analyse la neuropsychologue, qui est elle-même surdouée. Plusieurs ont reçu de faux diagnostics au cours de leur vie et sont découragés. »

Ces personnes sont souvent introverties, très sérieuses et ont un grand besoin de profondeur, qui se manifeste parfois par un sentiment de solitude et une impression d’être incomprises, dit la neuropsychologue.

Un sentiment qu’a longtemps vécu Catherine, qui a appris qu’elle possédait un QI de plus de 145 il y a trois ans.

La femme d’une quarantaine d’années qui souhaite garder l’anonymat raconte qu’elle se sent seule et s’ennuie dans un groupe.

Or, un très haut QI peut aussi être associé à une plus grande facilité dans les interactions sociales, affirme Sherif Karama, psychiatre à l’Institut Douglas.

« Plusieurs passent inaperçus et ne ressortent pas du lot. Des études démontrent que ce sont des gens cool qui s’adaptent très bien, et non pas des nerds », dit-il.

Olivier Laroche, dont le QI dépasse 145, se dit d’ailleurs très social, empathique et à l’écoute des gens.

Il est très peu orgueilleux et sa grande curiosité l’amène à s’intéresser à tout. Il dit que ça lui permet d’acquérir des connaissances dans plein de domaines.

Pascale Roseberry

Stevens Leblanc - Agence QMI

Pascale Roseberry a eu l’impression d’avoir raté sa vie lorsqu’elle a appris à sa grande surprise qu’elle était une « génie », à quelques années de sa retraite.

« Sur le coup, j’ai été très déstabilisée. Je me suis dit que je n’avais rien fait d’extraordinaire qui mérite d’être inscrit dans les grands livres. J’ai eu l’impression d’être passée à côté de mon potentiel et je me suis sentie coupable de ne pas avoir utilisé le don qui m’avait été offert... », relate la femme de 52 ans qui habite Saint-Gabriel de Valcartier, près de Québec.

Sympathique et un peu timide à l’idée de parler de sa douance publiquement, elle raconte avoir appris qu’elle fait partie du 0,1 % de la population à avoir un QI supérieur à 145 il n’y a que quelques mois à peine.

S’en est suivi une remise en question existentielle.

« Je me suis toujours sentie différente des autres et introvertie. Je me disais que j’avais peut-être des tendances Asperger et asociales, mais pas que j’avais un très haut QI », dit-elle.

Plus jeune, Mme Roseberry avait des résultats scolaires de loin supérieurs à la moyenne, même si elle s’ennuyait énormément sur les bancs d’école et écoutait très peu en classe. « Je préférais lire les œuvres de Shakespeare et faire de la broderie », dit-elle en riant.

Les enseignants ne se sont jamais plaints, car elle performait et était sage comme une image.

Carrière à Revenu Québec

Elle a terminé ses études au cégep avec un DEC en technique administrative et a aussitôt décroché un emploi chez Revenu Québec, à 20 ans.

« J’ai été technicienne, puis chef d’équipe, adjointe de direction, spécialiste et finalement professionnelle... J’ai occupé tous les postes possibles. Je devrais prendre ma retraite d’ici trois ans », raconte-t-elle.

Si elle a d’abord conclu que sa vie n’avait pas été à la hauteur de ses capacités, celle qui est mère d’un garçon de 28 ans a rapidement relativisé et a décidé qu’elle retournerait à l’école d’ici quelques années.

Elle compte entreprendre une seconde carrière, mais n’a pas encore choisi le domaine. Pour l’instant, elle hésite entre la massothérapie, la neuropsychologie et l’étude des interfaces neuronales directes...

« Ou tout cela en même temps... » dit-elle, sans broncher.

Mme Roseberry, que ses sœurs surnomment « wiki », en référence à l’encyclopédie Wikipédia, a un grand besoin de comprendre les choses qui l’entourent. Elle pose beaucoup de questions, mais certains prennent cela comme des interrogatoires et se sentent attaqués.

« Dans le groupe Triple Nine, je n’ai jamais l’impression de déranger. Je me sens à ma place avec des gens qui pensent comme moi. Je peux discuter sans avoir à faire attention aux subtilités sociales que j’ai parfois de la difficulté à saisir », dit-elle.

Elle préfère rester discrète sur sa douance avec les gens qu’elle côtoie quotidiennement. Selon elle, certaines personnes deviennent irritées et tombent sur la défensive lorsqu’elle en parle.

La Triple Nine Society (TNS) rassemble depuis les années 70 des personnes ayant une intelligence supérieure à celle de 99,9 % de la population générale.

C’est un lieu de rencontre qui « vise à favoriser l’amitié, la communication, l’exploration intellectuelle et l’actualisation du potentiel des participants », indique par courriel l’un des administrateurs du groupe originaire d’Allemagne, Thorsten Heitzmann.

On compte 2000 membres dispersés dans le monde, dont 50 Canadiens et 15 Québécois. La majorité d’entre eux se trouvent aux États-Unis. Certains membres se rencontrent chaque année lors d’activités organisées en Europe et chez nos voisins du sud.

Adhésion

Une personne qui souhaite adhérer doit obtenir le résultat minimal à l’un des différents tests d’intelligence reconnus par la TNS. L’aspirant membre doit soumettre son résultat à l’organisation en y ajoutant toutes les preuves nécessaires.

Le test utilisé au Québec est le Wechsler Adult Intelligent Scale. Il est possible de passer l’examen auprès d’un psychologue ou d’un neuropsychologue moyennant 400 $.

La Québécoise Pascale Roseberry a joint la TNS il y a quelques mois à peine. Elle dit avoir noué des liens avec des personnes qui sont devenues des sources d’inspiration.

Une autre membre qui préfère taire son identité a joint le mouvement il y a environ trois ans. Elle se sent moins seule avec sa douance depuis qu’elle a trouvé des pairs avec qui partager.

« J’ai saisi les possibilités de côtoyer des énergumènes comme moi afin de trouver réponse à mes questions. Je suis reconnaissante de toutes les belles interactions que j’ai le privilège de développer à travers ce club social. Les gens sont vraiment enrichissants, très touchants, très stimulants », dit-elle.

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