Menant la marche Cate Blanchett et les membres féminins de son jury, mais aussi Agnès Varda, la mère de toutes les autres. Suivaient des cinéastes et actrices, mais aussi des monteuses, des productrices, des artisanes de plusieurs métiers du cinéma : Marion Cotillard, Léa Seydoux, Jane Fonda, Claudia Cardinale au milieu de la cohorte des personnes de l’ombre qui fabriquent le septième art.
Un moment important, symbolique, avec la ministre de la Culture française qui les accueillait sur le seuil. Pour la première fois, Cannes s’ouvrait aux revendications des femmes, qui montent plus souvent le tapis rouge pour faire admirer leurs robes : «Les femmes ne sont pas minoritaires dans le monde et pourtant notre industrie dit le contraire», lançait Cate Blanchett. Agnès Varda avait déjà reçu ici une palme d’honneur, mais seule Jane Campion, d’ailleurs absente, avait été couronnée au sommet pour sa Leçon de piano en 1993.
Évidemment, ça ne change pas la portée du message… Mais fallait-il annexer à cet instant solennel un film aussi amateur ? Les larmes m’en sont montées aux yeux. Raté à ce point ? Il n’aurait jamais de toute évidence atterri en compétition, n’eût été son propos féministe, à l’ère du combat #MeToo. Ah yoyoye !
Les filles du soleil met en scène une journaliste (Emmanuelle Bercot) qui part partager la vie d’un bataillon d’amazones kurdes dirigées par l’intrépide Bahar (l’Iranienne Golshifteh Farahani). Toutes ont un passé d’otages sexuels évadés ou rachetés, ayant pris les armes pour retrouver un sens à leur vie, tout en s’ennuyant de leur famille, des morts ou des disparus.
Hélas ! La cinéaste dit tout et appuie tout, esthétise ses images, sans rendre le choc des viols, des combats et des morts. Le dénouement, où l’article de la journaliste défile à l’écran, est d’un pompier … Misère !
Nolan avec Kubrick
Pour entrer à la classe de maître du Britannique Christopher Nolan, il a fallu jouer du coude parmi la cohue folle des journalistes empilés. Le cinéaste d’Interstellar et de Dunkerque n’était jamais venu à Cannes, mais il y présente la version restaurée de 2001, L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, pour le cinquantenaire du chef-d’œuvre en question.
Était d’ailleurs présente parmi nous Katharina Kubrick, la fille du grand cinéaste et notre compatriote Denis Villeneuve, dont les univers de Kubrick et de Nolan ne sont pas très éloignés du sien.
Précisons qu’il s’agit d’une copie neuve en 70mm de 2001. Nolan a participé à sa restauration. «Quand je travaillais avec la Warner à une version 4K de plusieurs de mes films, on m’a proposé de voir deux bobines de 2001, a-t-il expliqué. À l’approche du 50e anniversaire du film, j’ai songé que ce serait un beau cadeau aux spectateurs de le restaurer. Et quel meilleur tremplin que le Festival de Cannes pour ça?»
Il dit avoir procédé par recréation photochimique, sans retouches numériques. «Nous avons recrée un négatif. Je ne dénie pas l’importance du numérique, mais quand il s’agit de restaurer un film en pellicule [ici en 70mm] il faut le faire dans son format original. »
Nolan a beaucoup parlé de ses méthodes de travail comme cinéaste. Il coécrit plusieurs scénarios avec son frère. Son épouse est sa productrice, ses collaborateurs des amis loyaux.
Dans son premier film Following (1998) fabriqué avec des amis presque à la bonne franquette, il tenait la caméra à l’épaule, mettait la main aux éclairages, au son, au montage. «Ça m’a inculqué une compréhension de tous les aspects de la fabrication d’un film.»
Le genre auquel il se réfère est toujours celui du film noir. «Vous placez vos personnages dans des situations extrêmes avant de les accompagner dans leur labyrinthe. Avec des budgets énormes, vous avez la possibilité de créer un monde et de redéfinir le genre. Si Kubrick avait réinventé les règles en 1968, alors pourquoi pas nous ?»
Godard via son téléphone
À l’opposé du spectre, à quelques heures d’intervalle, j’ai assisté à l’étrange conférence de presse de Jean-Luc Godard via son téléphone cellulaire, de sa voix tremblante, apparemment sortie d’outre-tombe, retransmise devant une nuée de journalistes.
À 88 ans, la légende franco-suisse a encore l’intention de faire des films si ses jambes, ses mains et ses yeux lui permettent, d’autant plus qu’il saute maintenant l’étape du tournage. Ainsi à travers son Livre d’image, montage kaléidoscopique d’archives et de photos, présenté ici en compétition.
«Le montage, c’est le propre du film, comme c’est le propre de l’homme, estime-t-il. Beaucoup d’acteurs contribuent au totalitarisme de l’image filmée. Le cinéma, c’est montrer ce qui ne se fait pas et que vous ne voyez jamais sur Facebook. Aujourd’hui, les trois quarts des gens ont le courage de vivre leur vie, mais pas celui de l’imaginer. Moi, je possède ce courage-là.»
Allez ! On l’applaudit.
Détour par le Québec
Restait à courir faire un saut à la SODEC (Société des entreprises culturelles du Québec), pour son cocktail annuel réunissant les Québécois à Cannes. La nouvelle présidente de la SODEC Louise Lantagne a tenu à rappeler à quel point c’est au marché du film, le plus grand au monde, que les occasions de rencontres pour des alliances, des coproductions se jouent pour le cinéma québécois. La francophonie est leur premier allié avec la Wallonie, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse, la France bien entendu.
Ce marché au sous-sol du Palais est un Cannes parallèle, où se brassent bien des projets futurs.
La ministre de la Culture, Marie Montpetit est d’ailleurs ici pour trois jours. Elle ne montera pas les marches dans une belle robe, mais participe à toutes sortes de rencontres. «La taxation Netflix est une priorité et nous voyons avec nos partenaires européens, la France, la Belgique, l’Allemagne à ce qu’il y ait un pourcentage de productions du pays dans cette plateforme.»
Eh oui, dans une journée à Cannes, tous les univers se côtoient.
https://www.ledevoir.com/culture/cinema/527664/les-univers-paralleles-de-cannesBagikan Berita Ini
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