Paris Match. Quel est votre plus vif souvenir de l'ère maccarthyste ?
Philip Roth. Je me rappelle, à la télévision, les auditions de la commission McCarthy sur l'armée qui ont fait tomber Joseph McCarthy. C'était la première fois que la télévision américaine diffusait dans tout le pays un événement de pareille importance. C'était en 1954. J'avais 21 ans.
Certains de vos proches ont-ils été victimes de cette chasse aux sorcières ?
Mais certainement ! Des membres de ma famille. Ils ne sont pas tombés en disgrâce, mais ils ont été harcelés. Un de mes professeurs de lycée, accusé d'être communiste, a été licencié en 1955.
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Quelle a été votre réaction ?
J'ai réagi comme n'importe quel garçon de mon âge. J'étais en colère, scandalisé et très inquiet.
Avez-vous fait beaucoup de recherches avant d'écrire ce livre,
Non, ce n'était pas nécessaire. La fureur anticommuniste a débuté d'une manière significative en 1948. J'avais déjà 15 ans. J'étais un garçon à l'esprit très vif, intéressé par la politique et l'histoire. Je lisais beaucoup la presse. C'est le deuxième événement historique qui m'a profondément marqué dans ma vie d'Américain. Le premier, bien sûr, est la participation des Etats-Unis à la Seconde Guerre mondiale. En 1950, McCarthy apparaissait sur la scène politique. A la même époque débutait la guerre de Corée. J'étais à l'université et j'étais parfaitement conscient de ce qui était en train de se passer. Un demi-siècle plus tard, je n'ai pas eu beaucoup de mal à me remémorer cette période.
Murray, le frère d'Ira Ringold, dit dans votre livre : "L'Amérique, c'était le paradis des juifs en colère." Est-ce encore le cas ?
(Rires.) Je ne me souviens pas de ce passage. Cela fait longtemps que je n'ai pas relu ce livre. Je voulais sans doute dire ceci : les Américains ont commencé à faire l'expérience de leur totale liberté et de toute la gamme de leurs droits politiques après la Seconde Guerre mondiale. Celle-ci fut un moment critique dans l'histoire de l'Amérique en ce qui concerne les droits des minorités. Elle démocratisa les Etats-Unis, comme aucun autre événement ne l'avait fait. Si bien que les juifs qui auraient pu être silencieux, museler leurs réactions, se sentirent enfin libres de s'exprimer.
Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ?
J'ai commencé à écrire sérieusement en 1955, lorsque je suis parti au régiment. J'avais alors terminé mes études. Ma matière principale et ma passion était la littérature. Lorsque j'ai quitté l'armée, j'ai continué. J'ai publié des histoires et suis devenu écrivain.
Connaissez-vous le profil de vos lecteurs ?
Oui et non. J'ai du mal à me représenter qui sont mes lecteurs. L'Amérique est un pays immense et la lecture n'est pas l'occupation favorite des Américains.
"Ce qu'il y a de plus écoeurant, c'est d'avoir un crétin pour président !
"
Savez-vous que vous avez beaucoup de lecteurs en France ?
J'ai participé il y a un an et demi à la fête du Livre à Aix-en-Provence. J'ai pu constater que beaucoup de gens dans le public et parmi les étudiants avaient lu mes livres. Au-delà, je n'en sais rien.
Vous avez dit il y a deux ans : "En Amérique, la lecture est morte. Des lecteurs, il n'y en a pas 100 000 dans ce pays de 250 millions d'habitants !"
C'était au temps où j'étais optimiste ! J'appelle lecteurs ceux qui consacrent plusieurs heures par jour, cinq jours par semaine, à lire des ouvrages sérieux. Ils sont capables de tout mettre de côté pour lire un livre. Le nombre d'adultes aux Etats-Unis qui en ont le temps et l'intérêt est infime.
Vous avez toujours porté un regard très critique sur l'Amérique. Que lui reprochez-vous le plus aujourd'hui ?
Ce qu'il y a de plus écoeurant, c'est d'avoir un crétin pour président !
Etes-vous pessimiste quant aux trois prochaines années de son mandat ?
Qu'est-ce que j'en sais ? Je ne prévois pas une catastrophe. Le pays a son propre élan. Une administration républicaine menée par un type qui ne connaît rien ne peut faire qu'un nombre limité de dégâts.
Vous vivez aujourd'hui à l'écart de New York et du milieu littéraire. Etes-vous un reclus comme le héros de votre livre "The Human Stain" («La Tâche») ?
Depuis 1973, j'habite à la campagne, dans une région très rurale de la Nouvelle- Angleterre. Même si j'ai vécu ailleurs par périodes, j'ai toujours considéré cet endroit comme mon lieu de résidence. Depuis huit ans, je ne le quitte pas souvent. Je vais à New York un ou deux jours par mois. La dernière fois, c'était pour voir mon dentiste. Je mène une vie austère dans l'esprit de beaucoup de gens. En ce qui me concerne, c'est une vie très agréable car j'ai le temps de faire tout ce qui me plaît.
"Prends garde à l'utopie de l'isolement", "Prends garde à la bicoque dans les bois, cette oasis contre la rage et le chagrin", dit Murray à Nathan dans votre livre.
Il y a une part de vérité dans ce qu'il dit. Mais encore une fois, la réflexion de Murray est en réponse à une situation fâcheuse. Un homme peut-il faire cette observation ? Oui. Un homme peut-il penser qu'il dit la vérité ? Oui. Mon but, lorsque j'écris un livre, est de mettre en scène des personnages, de les faire parler, pas d'exprimer mes propres opinions. A quoi cela rimerait-il ?
Certains critiques littéraires ont avancé que Nathan est votre alter ego.
Me connaissent-ils ? Sans doute pas. Comment peuvent-ils savoir qui je suis ?
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