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Revoir Le règne de la beauté

La grande critique Pauline Kael se vantait de n’avoir jamais regardé un seul film deux fois.

J’ai toujours trouvé cette politique profondément stupide.

Un, parce que les films qui ont marqué notre vie méritent d’être revus des dizaines de fois.

Deux, parce que ceux que nous n’avons pas aimés méritent une deuxième chance.

Ne serait-ce que pour savoir qui, du réalisateur ou de nous, était responsable de ce rendez-vous manqué.

MAL COMPRIS ?

Après avoir lu l’entrevue que Denys Arcand a accordée à Maxime Demers ce week-end, j’ai eu le goût de revoir Le règne de la beauté, qui avait été si mal accueilli il y a quatre ans.

Et si Arcand avait raison ? Et si on était passé à côté de son film, si on ne l’avait pas compris ?

Ça s’est déjà vu.

Playtime de Jacques Tati, qui a été démoli à sa sortie, est maintenant considéré comme l’un des chefs-d’œuvre du cinéma français.

Alors je me suis installé devant mon écran et j’ai revisionné le film le plus mal aimé de notre plus grand cinéaste.

Mon deuxième verdict ?

C’est un Arcand mineur. Mais tous les grands réalisateurs ont fait des films mineurs : Fellini (La cité des femmes), Bergman (L’œuf du serpent), Antonioni (Par-delà les nuages)...

Vaut mieux un film mineur d’un cinéaste majeur qu’un film majeur d’un cinéaste mineur.

Mais je comprends parfaitement Denys Arcand, lorsqu’il dit que son film mérite une deuxième chance.

UN GRAND LIVRE

Ce que j’aime des films d’Arcand, c’est qu’ils s’emboîtent parfaitement les uns dans les autres.

Comme s’ils étaient les chapitres d’un même livre.

On dirait une course à relais cinématographique : le dernier film débute où le précédent finissait.

On n’y retrouve ni les mêmes personnages ni la même histoire, mais on suit le développement d’une pensée. Comme si on reprenait un dialogue avec un ami qu’on n’avait pas vu depuis des années.

Vous vous rappelez la fin de L’âge des ténèbres ?

Broyé par son époque, poussé au bord du suicide par la barbarie de la vie contemporaine, le personnage interprété par Marc Labrèche se réfugiait dans la beauté.

Il épluchait une pomme dans un cadre enchanteur, et cette pomme se transformait en toile de Manet.

La beauté était son refuge, sa bouée de secours.

Sa porte de sortie.

LA BEAUTÉ EST UNE PRISON

Or, dans Le règne de la beauté, c’est l’inverse.

La beauté n’est plus une issue, mais une prison.

Elle est si puissante, si omniprésente qu’elle étouffe ses personnages.

Privilégiés, épicuriens, bourgeois, les personnages du Règne de la beauté sont les enfants des héros du Déclin.

Ils ont grandi avec une cuillère dorée dans la bouche et vivent dans une bulle, protégés de la sauvagerie du monde réel.

Mais contrairement à leurs parents, qui maniaient avec jouissance l’art du cynisme, eux sont éteints.

Ils sont tellement habitués d’être entourés de beauté qu’ils ne la remarquent même plus.

Ce sont des morts vivants.

Après le déclin et avant la chute de l’empire américain, Arcand nous montrait son engourdissement, son affaissement.

Contrairement à ce que je pensais, ce film n’est pas une erreur dans la filmographie d’Arcand.

Il y a parfaitement sa place et mérite un second regard.

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