
« Je ne sais pas pour vous, mais moi, j’ai passé une journée chill… », a ironisé l’auteur-compositeur-interprète californien Moses Sumney à la fin du premier des deux exceptionnels concerts affichant complet qu’il présentait mardi soir à la Sala Rossa – et non au Club Soda sous la bannière du Festival international de jazz de Montréal comme c’était prévu quarante-huit heures plus tôt.
Geste de protestation contre SLAV, et peut-être encore davantage contre la réplique des créateurs et producteurs du spectacle face à leurs critiques, face au refus de dialogue avec les communautés racisées que le musicien a perçu de la part de l’organisation du FIJM. Inondé de demandes d’entrevues mardi, il a préféré publier sur les réseaux sociaux l’éloquente lettre justificative de son désistement qu’il a adressé au festival, puis faire ce qu’il fait de mieux : chanter. Avec puissance, intelligence et émotions.
Ainsi, ceux qui espéraient que la controverse autour du spectacle SLAV s'essouffle ont perdu espoir lorsque l’étoile montante de la chanson pop d’auteur américaine a refusé de se produire au Festival international de jazz de Montréal pour organiser en vitesse deux « petits concerts D.I.Y. » à la Sala Rossa, coproduits par le festival Suoni per il Popolo et une nouvelle organisation baptisée Des chansons pour Betty/Songs for Betty, qui se présente sur sa page Facebook comme « un collectif [ayant] pour but de mettre en valeur la diversité des talents musicaux des communautés noires Montréalaises ». La Sala Rossa était placardée de leurs affiches sur lesquelles l’encre n’était pas encore tout à fait sèche.
La foule s’était déjà engouffrée à 21 h pile pour entendre le Montréalais Un Blonde en première partie ; avant son étrange et fascinant tour de chant, une jeune femme a pris la parole, reprenant les exigences formulées dans une pétition « Contre la pièce SLAV » circulant sur le Web, invitant du même souffle ses consoeurs et confrères noirs à la mobilisation. Jean-Sebastian Audet (Un Blonde) a ensuite pris sa petite place sur la petite scène.
Il n’a joué qu’une vingtaine de minutes, mais a fait forte impression, à défaut de savoir capter totalement l’attention du public qui avait du mal à suivre le cours de sa performance. Alternant entre sa guitare acoustique, son synthé et un magnéto à bobines émettant des bruits d’ambiance et autres chants d’oiseaux, il a enchaîné une sélection de courtes ou de très brèves compositions, entre soul minimaliste et chanson folk. Se dégageait de sa performance autant de spontanéité, de candeur, que d’originalité. Sa voix n’est pas toujours juste, mais ça ajoute au mystère de ses créations ; surtout, il s’exprime avec vivacité, des textes simples et bruts, pleins de bons flashs, et le fait en mettant ses tripes sur la scène.
Moses Sumney fut ensuite accueilli par de chaleureux applaudissements qui témoignaient de la reconnaissance à l’endroit du symbolique geste qu’il a posé mardi. Le musicien n’a pas eu besoin de l’expliquer, ni de s’étendre sur la polémique : sa présence, là, pour ce petit « off-FIJM » improvisé, parlait encore plus fort. Très simplement, il a présenté sa troisième chanson, Quarrel, en disant qu’elle porte sur la nécessité « de combattre ces gens qui prétendent se battre pour nous ». Le public a bien saisi le message.
Un batteur, un clarinettiste/guitariste et un violoniste/claviériste l’accompagnaient sur scène. Ils n’étaient que quatre, mais sonnaient comme s’ils en étaient le double. Sumney, à la guitare ou au synthétiseur, était équipé d’un pied de micro en forme de fusée art déco : l’appareil dissimulait trois microphones et des boîtes à effet lui permettant d’échantillonner sa voix, ses claquements de doigts, et de les échafauder en boucles sonores pour construire en direct les orchestrations de ses chansons. Sa voix agile et perchée occupait tout l’espace contigu de la Sala Rossa : une chorale à lui seul, aidé par la technologie.
En spectacle, son répertoire pop baroque devenait nettement plus charnel, plus incarné, que sur son disque Aromanticism, sorte d’éloge à la solitude amoureuse qu’il faudrait embrasser plus que craindre. Le groove apparaît plus pesant, plus rythmé comme sur l’envoûtante Rank and File, une inédite propulsée par une pulsion de batterie et de clappements de mains échantillonnées rappelant étrangement Idioteque de Radiohead. Sur son single Make Out in My Car, il se rapprochait d’un groove R & B classique des années 1990, pendant que son guitariste (lui aussi équipé d’une vaste sélection de pédales d’effets) s’évadait avec un croustillant solo.
Sa charismatique présence sur scène, imposante et contrôlée à la fois, nous faisait oublier sa propension à perdre le contrôle de sa propre voix, qui grimpait et grimpait dans les hautes notes pour retomber en bas du refrain. Sumney était aussi capable de retenue : sa version décharnée de Come to Me de Björk, lui chantant simplement accompagné d’un motif de basse pincé au violon, était à couper le souffle. Pendant Plastic au rappel, c’était lui seul à la guitare, et la foule qui chantait ses couplets. Mémorable.
Il s’agissait pourtant une fameuse prise pour le Festival international de jazz de Montréal. Un artiste à l’avant-garde de la pop dont on ne fait encore que découvrir le talent, quelque part entre ceux de Frank Ocean et de (son ami) Sufjan Stevens. Un auteur à la plume sincère et un interprète intrépide. C’était aussi son tout premier concert à Montréal, qui survient moins d’un an après la parution, remarquée et saluée, de son touchant premier album Aromanticism l’automne dernier. « Vraiment, je tiens à remercier le Festival de jazz de m’avoir invité, a conclu Moses Sumney, sincère. Sans quoi, je ne serais pas ici, à chanter pour vous. »
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