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Girerd tire son dernier trait

Comme plusieurs caricaturistes de génie, il se rêvait volontiers sous les traits d’un peintre. Jean-Pierre Girerd, surtout connu pour ses dessins quotidiens au journal La Presse, de 1968 à sa retraite en 1995, est mort le 17 octobre à la suite d’un cancer. La nouvelle a tardé à être rendue publique.

Né en 1931 à Alger, dans ce qui est alors une province coloniale française, Girerd dessine d’abord, après des études à l’École des beaux-arts, pour Le Journal d’Alger. La guerre d’Algérie le pousse à déménager en Amérique. Bien qu’il parle anglais comme une vache espagnole, il dessine un temps pour un journal de Minneapolis avant de tenter de poursuivre sa vie, comme beaucoup d’expatriés d’Algérie, du côté de Paris. Le mauvais sort réservé à beaucoup de pieds-noirs le pousse à repartir en Amérique. Au Québec, où il pose pied en 1964, il dessinera dans Métro-Express et dans le Petit Journal. Il dessine aussi pour Le Travail, un journal de la CSN.

À La Presse, Girerd s’installe en 1968 dans la succession de Normand Hudon, un des phares, avec Robert LaPalme, de la caricature d’après-guerre. Bien en selle, son dessin accompagnera l’imaginaire des lecteurs sur quatre décennies.

Ses personnages étaient presque des hiéroglyphes qui pensaient. Il avait en lui un esprit de la caricature très fort.

L’historien de l’humour Robert Aird souligne au Devoir le caractère quelque peu misanthrope du personnage. « Dans les rencontres de caricaturistes, jamais il n’était là. » Après sa retraite, Girerd avait offert quelque temps des dessins au journal L’Itinéraire, puis il s’était concentré sur la peinture.

Pour Dominic Hardy, professeur au Département d’histoire de l’art de l’UQAM et spécialiste du dessin d’humour, « il était une sorte de titan ». Son dessin, très européen, est porté par un trait doux, mais dont l’humour est plombant. « C’est un humour tout en finesse, très humaniste, qui grattait fort, tout en ayant une forte part de lyrisme et de tendresse. » Son dessin, unique, maîtrisé, le fait reconnaître d’emblée. « Son Pierre Elliott Trudeau, son René Lévesque, son Jean Drapeau ! Ses personnages étaient presque des hiéroglyphes qui pensaient. Il avait en lui un esprit de la caricature très fort. »

Circonstances favorables

Selon Robert Aird, le caricaturiste a eu la chance d’arriver à un moment de l’histoire du Québec où le dessin de presse a pris de plus en plus d’espace dans la société québécoise. « Il ne prenait pas position, même durant la crise d’Octobre, où l’on sent tout de même qu’il est à la fois contre l’action du fédéral et contre l’action terroriste. Il faisait réfléchir. »

« En tirant sa révérence en 1995, il y avait une partie de la vie politique qui partait avec lui », dit le professeur Dominic Hardy. La perception de beaucoup de figures publiques était étroitement liée à la représentation que Girerd en avait donnée.

Sa veuve, l’artiste Lise Internoscia, a indiqué en entrevue à La Presse que le but premier de Girerd n’avait pas été de faire rire, mais de montrer tout le grotesque ou la bêtise d’une situation, afin de faire réfléchir. Il était, en ce sens, un digne héritier d’Honoré Daumier, qui, disait-il, l’avait inspiré. Plusieurs livres reprennent le meilleur de son travail.

Les lignes claires de Girerd, immédiatement identifiables entre toutes, avaient su créer, par des usages répétés, comme celui de son petit chien et de son inséparable fleur, une sorte d’angle mort d’où les lecteurs pouvaient se situer pour mieux observer. « Gotlib avait sa coccinelle, Pat Oliphant son canard, et Girerd son chien et sa fleur », résume Dominic Hardy. Grâce à des figures sans cesse revisitées à toutes les sauces, par exemple son maire Drapeau, les lecteurs avançaient en pays de connaissance. Selon Dominic Hardy, « Girerd est assurément à situer dans les maîtres ».

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