Fred Pellerin l'interprète est de retour, toujours aussi émouvant et enveloppant, avec un nouveau disque intitulé Après. Une oeuvre intime et dépouillée, qui va directement de son coeur au nôtre.
Mine de rien, le conteur sort cet automne son cinquième disque, le quatrième en solo. Pas mal pour quelqu'un qui n'a jamais voulu faire une carrière - un mot qu'il n'aime pas beaucoup d'ailleurs - en chanson. Pourquoi continue-t-il alors?
«Je chante parce que j'adore ça, nous répond Fred Pellerin. Comme je trace un sentier dans le bois ou que je bâtis ma cabane à sucre. C'est dans la même zone. Quand j'aborde la chanson, il n'y a pas de plan, ça n'a pas besoin d'être rentable. Ce n'est pas mon travail.»
Après regroupe 10 chansons épurées et à fleur d'émotion. Certaines sont tirées du répertoire québécois - connues ou méconnues -, d'autres ont été écrites pour lui, mais toutes sont reliées par ce thème: ce qui vient après la vie, l'amour, la mort. «Après toutes sortes de choses, précise-t-il. Quand on enlève les pelures et qu'il ne reste que ça, le noyau de l'oignon. Mais on s'en est rendu compte juste à la fin! D'ailleurs, le disque a failli s'appeler Toujours... Ce sera pour une autre fois!»
Un opus chargé d'émotions
La charge émotive portée par ce disque est tout de même très forte, et ce, dès la première chanson, L'étoile du Nord, un texte de Gilbert Langevin sur une musique de Claude Gauthier qui a été chanté par le passé par Pauline Julien et Bori. «C'est comme la première neige / Et le premier printemps / Mon amour, mon amante / Mon étoile du Nord», chante doucement l'interprète à notre oreille. On le lui demande d'emblée: fait-il exprès pour nous faire pleurer?
«Oui», dit-il, presque timidement (c'est rare). C'est que, dans le fond, il y a deux Fred Pellerin. Celui des contes, où «ça revole et ça explose», et celui de la chanson, qui n'a pas besoin «de gigoter ou d'avoir le spot».
«Avec la chanson, j'ai besoin d'être dans l'autre bout du spectre où mon char de contes ne rentre pas. C'est l'étage du parking où le toit frotte. Alors, j'arrive là en vélo. La chanson, c'est mon vélo. Du ring a flang a flang, je ne peux pas faire ça en chanson. Je n'ai pas ce qu'il faut.»
C'est pourquoi il chante juste un peu - trois ou quatre pièces maximum - pendant ses spectacles de contes et qu'il ne fait pas de tournées. «J'ai fait une petite tournette il y a quelques années, mais je ne ferais pas plus que ça.» Cette manière tout en retenue qu'il a de chanter sur scène, il la reproduit donc sur disque. C'est aussi sa manière de chanter dans la vie, ajoute-t-il.
«Tous les soirs, je joue de la guitare à mes enfants. Je m'assois à côté du bain et je leur chante des tounes. Cet album, c'est celui qui ressemble le plus à quand je joue tout seul. Si je te jouais La chanson du camionneur là maintenant, mon capot dans la case trois, ben je te dis que ce serait pas mal ce que tu as sur l'album. On a ajouté une petite basse, juste pour garnir le système de son si tu l'écoutes dans l'auto, sinon c'est très proche. Et c'est volontaire et réfléchi.»
Le résultat est bien sûr une intimité instantanée, comme s'il ne jouait que pour la personne qui l'écoute. «T'as plus 22 affaires entre toi et moi. C'est juste ma voix et ma guitare.» D'ailleurs, c'est ainsi qu'il aimerait que les gens l'écoutent, seuls, avec leur casque d'écoute ou dans la bulle de leur automobile. «De toute façon, ce n'est pas vraiment un disque d'ambiance qu'on met pendant un souper...», dit le chanteur, qui assume totalement sa mélancolie.
«Je suis triste pour plein de choses dans la vie. Et puis, il y a l'affaire du temps qui me hante, depuis des années. Je suis beaucoup pris avec ça. Le temps. Peu importe le temps que tu mets sur tes trucs, qu'il soit bien investi ou non, ce temps-là ne revient jamais. Tu peux investir à la Bourse et faire minoter ton argent, mais le temps ne minote jamais. Il coule. Ça me bouleverse chaque fois que j'y pense. Chaque jour.»
Justement, il vient de passer un automne où le temps a filé à toute allure, entre la tournée de son spectacle de contes Un village en trois dés, le lancement de l'album, la préparation du conte de Noël de l'OSM - «C'est gros, ça, juste bouger deux virgules, c'est trois paliers de gouvernement!» - et un séjour en France au Festival de Champagne, où il a chanté avec un choeur de 900 personnes - «Avec tout le respect que j'ai pour un violon qui vibre, ça ne fait pas le même effet...».
La même équipe depuis ses débuts
Il ne pouvait pas dire non à cette expérience, mais il a dû annuler les 10 jours de congé qu'il avait prévus. «Je l'ai échappé un peu cet automne», admet-il. En général, son horaire est mieux équilibré - au printemps prochain par exemple, il a réservé tout son mois de mars pour la saison des sucres, en faisant même reporter une série de spectacles en France. «Ce sera la première fois depuis que mon père est mort.»
On s'inquiète quand même pour lui : a-t-il le temps de vivre? «Ah, mais je vis ! Je vis au village, j'ai des enfants, une famille, des voyages. Je fais du bois de chauffage, je passe la gratte dans les trails pour les marcheurs. On a un réseau de sentiers, et cette année on ajoute le ski de fond. Je fais tout ça. Je suis très groundé.»
Cette belle vie qu'il s'est organisée malgré les nombreux engagements, elle existe aussi dans le boulot. Fred Pellerin travaille avec les mêmes gens depuis le début de sa carrière, et l'idée de changer d'équipe ne l'a jamais effleuré.
«Je suis fidèle. Mettons que demain, Jeannot [Bournival, le réalisateur de tous ses disques] décidait de ne plus faire d'album, je ne sais pas si j'en ferais encore. On se connaît depuis qu'on a 7 ans. À 10 ans, on avait déjà notre agence d'espionnage.»
En fait, Fred Pellerin aime l'idée d'intégrer l'amitié au travail.
«Ça fait une différence sur la quantité d'amis que tu as à ta tablée, sur la continuité entre les affaires, sur le fait d'avoir un fil qui se tient.»
Un public toujours au rendez-vous
Après vient tout juste de sortir qu'on sent déjà qu'il répond à un besoin du public - chacun des albums de Fred Pellerin a d'ailleurs été un grand succès. Comment explique-t-il cette connexion?
«Peut-être que je suis dans une zone où on propose moins la chanson comme ça. Moi, le deal que je fais, c'est d'y aller d'instinct. Et on dirait que ces choix qui font résonner quelque chose en moi trouvent leur écho ailleurs.» Autre hypothèse, ajoute-t-il, les chansons ne sont pas pensées pour tourner à la radio.
«On ne martèle pas, on n'écoeure pas le monde. Ça doit aider à long terme. C'est un bon investissement de ne pas écoeurer le monde.»
«L'auteur, Pierre Roger Rochette, est un vagabond qui s'est fait embarquer 1000 fois par des truckers. Et celui de la chanson existe, il lui racontait pendant des kilomètres comment il aimait sa femme, et qu'il était en train de rénover sa cuisine et tout, mais qu'il n'était pas capable de le lui dire. Pierrot lui a dit : on va le faire dans une chanson. Le résultat, avec cette poésie du quotidien qui fait rimer cuisine avec mélamine, c'est une ostie de belle toune d'amour.»
«Je trouvais que cette chanson n'avait pas besoin de moi. Martin Léon est mon contemporain, et il me semblait que je ne lui apportais rien de plus. Je la chantais déjà dans mon spectacle de contes, et ça m'a pris tout mon petit change. Quand Martin est venu me voir à Sainte-Adèle au printemps et que je lui ai dit que je faisais un album, c'est lui qui m'a dit de la mettre dessus. Mais je l'aborde avec beaucoup d'humilité.»
«C'est une des chansons les plus enveloppées du disque, qui le fait avancer. C'est David Portelance qui l'a écrite, un grand parolier et mélodiste qui a écrit de grandes chansons que j'ai chantées [Tenir debout, Au commencement du monde]. C'est rare que ça ne marche pas, nous deux. C'est drôle parce que quand il les chante, il est complètement ailleurs, il est plus rock. Moi, je les pogne, je les démonte et je les remonte en chuchotant. Peut-être qu'on se complète d'une certaine façon.»
«Ah, celle-là va faire un hit! C'est un jeu, cette chanson. On l'a vraiment écrite à trois, Manu Trudel, Josée Beaudoin et moi, en écrivant chacun notre couplet mais sans s'asseoir ensemble. Ça en prenait une pour alléger l'atmosphère, il fallait aller dans une autre zone, donner du relief, sinon c'est juste pâle. Ça prend des asymétries.»
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