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Polémique autour de «SLĀV»: Robert Lepage fait son mea culpa - Le Devoir

Mea culpa, a dit Robert Lepage. Le metteur en scène a reconnu vendredi avoir fait preuve de « maladresse et de manque de jugement » dans la polémique qui a entouré la création du spectacle SLĀV l’été dernier. Et il promet de « faire mieux » pour la suite des choses.

Dans une lettre ouverte détaillée, M. Lepage reconnaît que l’« odyssée théâtrale à travers les chants d’esclaves » qu’il a créée avec Betty Bonifassi était « loin d’être aboutie » dans la forme présentée au Festival international de jazz de Montréal (FIJM). « Ce n’était peut-être pas par hasard que les problèmes dramaturgiques dont souffrait le spectacle correspondaient exactement aux problèmes éthiques qu’on lui reprochait », dit-il.

Ces constats, il en a fait part aux membres du collectif SLĀV Résistance — qui avait mené la charge critique contre la production — lors d’une rencontre tenue le 5 novembre. Un face-à-face qu’il avait accepté avec réticence : le dramaturge souligne qu’il croyait aller à la rencontre d’« irascibles militants d’extrême gauche » prêts à l’« embrocher et à le rôtir à feu vif ». Ce ne fut pas exactement le cas.

Au contraire de l’image que « certains médias » ont pu présenter de ces opposants, Robert Lepage dit avoir été plutôt « accueilli par des gens qui faisaient preuve d’une grande ouverture et qui se sont avérés très sensibles, intelligents, cultivés, articulés et pacifiques. […] Nous ne ressemblions, ni d’un côté ni de l’autre, aux portraits que l’opinion générale et les médias avaient faits de nous ».

Ce fut effectivement une très bonne rencontre, disait vendredi Ricardo Lamour, un des membres de SLĀV Résistance (mais qui s’exprime en son nom personnel). « Robert Lepage était dans une posture d’écoute. On s’est sentis à l’aise de prendre la parole et de nommer nos préoccupations et réflexions », a indiqué l’artiste dans un entretien.

Robert Lepage écrit que, « dans ce climat d’ouverture et de transparence, il était plus facile pour [lui] d’admettre [ses] maladresses et [ses] manques de jugement et de tenter d’expliquer le bien-fondé de [leur] démarche ».

Contenu revu

Le metteur en scène révèle entre autres que « le contenu de SLĀV a été soumis à une réécriture et à une révision complète » en vue des représentations qui sont prévues dans différentes villes du Québec en janvier.

Pour que la « réflexion continue d’évoluer », il s’est aussi engagé à ce que des représentants de SLĀV Résistance assistent aux répétitions du spectacle et aient une tribune pour échanger avec le public et les artistes à la suite de certaines représentations futures.

Robert Lepage promet également des « changements structurants à l’intérieur même » de l’organisation d’Ex Machina (sa compagnie de production) pour « assurer une représentation significative de la communauté afrodescendante de Québec au sein de la programmation du futur [complexe de diffusion] Diamant ».

Médias

La première de SLĀV avait été marquée par une manifestation houleuse, prémisse d’un vif débat sur l’appropriation culturelle et la représentativité des artistes de couleur sur les scènes québécoises (la production ne comptait que deux choristes noires sur six interprètes).

Une importante blessure subie par Betty Bonifassi — mais aussi des raisons de sécurité — avait mené à l’annulation de plusieurs représentations. De nombreuses voix avaient alors crié à la censure. Robert Lepage lui-même avait dit que sa production avait été « muselée ».

Robert Lepage s’était sinon abstenu de commenter en profondeur la polémique soulevée par SLĀV — notamment parce qu’il ne savait pas exactement quoi en penser. « Pour émettre une opinion, il me fallait être capable de l’articuler… »

L’homme de théâtre laisse maintenant entendre qu’il aurait mieux valu ne pas laisser la situation dégénérer. « Nous rencontrer plus tôt aurait eu pour effet de mieux nous comprendre, tout en s’évitant bien des égratignures », écrit-il. En comparaison, la direction du FIJM avait choisi de rencontrer des opposants dans les jours qui avaient suivi l’annulation du spectacle.

Robert Lepage décoche plusieurs flèches aux médias — y compris aux commentateurs qui l’ont défendu. « Comme c’est souvent le cas chez nous, les débats sociétaux d’importance ont parfois tendance à se transformer en dialogue de sourds, dans le cadre duquel le discours s’embrouille et ne devient qu’un empilage d’idées et d’opinions où règnent le bruit et la confusion. »

« Je savais bien qu’en choisissant de me taire, je prenais le risque que d’autres parlent à ma place et que les arguments de mes défenseurs ne soient pas toujours en phase avec mes opinions », dit-il.

Du travail à faire

Ricardo Lamour estime que, même « si elle arrive tard », la lettre de Robert Lepage est « importante et nécessaire ». « Je ne suis pas d’accord avec tout ce que dit sa lettre, mais je suis d’accord sur plusieurs éléments. Je suis content de constater la volonté de cheminement. »

Mais selon M. Lamour, les questions soulevées par SLĀV Résistance l’été dernier demeurent toutes valides, au-delà de Robert Lepage. Le collectif avait publié un manifeste demandant notamment que les modèles de financement des productions culturelles soient revus pour prendre en compte la question de la diversité culturelle.

Ricardo Lamour fait valoir qu’il y a « de nouveaux réflexes à avoir pour être du bon côté de l’histoire. Ceux qui ont crié à la censure, qui m’ont traité de snipper de l’appropriation culturelle mais qui étaient incapables de faire un lien [entre les enjeux de SLĀV et la] dynamique à laquelle font face les Afro-Québécois, doivent faire un exercice de conscience sur leur posture. Comme Robert Lepage tente de le faire. »

La lettre de Robert Lepage ne concerne que SLĀV et ne fait pas état d’une autre polémique touchant les mêmes enjeux — Kanata, qui est actuellement présenté à Paris.

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