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Les chats, le Net, Magnotta et Netflix - La Presse

On a une fierté toute chauvine lorsque Céline Dion ou le Cirque du Soleil font rayonner Montréal à l’étranger. Mais il y a des trucs dont une ville préférerait se passer pour être « mise sur la carte », et l’horrible histoire de Luka Rocco Magnotta, qui a fait le tour du monde, en fait certainement partie.

Chantal Guy Chantal Guy
La Presse

Sauf que c’est de l’or en barre pour une minisérie documentaire haletante comme Neflix s’en est fait une spécialité depuis quelques années. Le comble du binge-watching qui garde captifs ses abonnés, qu’on voit rentrer les yeux cernés au bureau le lendemain de la mise en ligne, parce qu’ils ont passé la nuit à enfiler des épisodes. Don’t Fuck with Cats : un tueur trop viral, de Mark Lewis, appartient à ce genre.

À Montréal, on se souvient tous de cette sordide affaire qui est arrivée alors que les esprits étaient échauffés par la révolte étudiante de 2012 née lors d’un printemps très précoce. En pleine ébullition politique, des bouts de corps de la victime de Magnotta avaient été envoyés au Parti conservateur et au Parti libéral. C’était comme trop ajouter à une actualité déjà brûlante, et j’ai plusieurs collègues qui ont frôlé le burnout pendant cette période.

PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

« Cette minisérie en trois épisodes fait abstraction de ce qui nous agitait à l’époque, bien sûr, mais ne se concentre pas tant sur Magnotta que sur ceux qui l’avaient déjà flairé deux ou trois ans avant son crime », écrit notre chroniqueuse Chantal Guy. 

Cette minisérie en trois épisodes fait abstraction de ce qui nous agitait à l’époque, bien sûr, mais ne se concentre pas tant sur Magnotta que sur ceux qui l’avaient déjà flairé deux ou trois ans avant son crime. Parce que les réseaux sociaux étaient eux aussi en pleine ébullition et surtout en expansion. Les personnages principaux de cette série sont bien plus deux geeks, Deanna Thompson et John Green, elle habitant à Las Vegas, lui à Los Angeles, que le tueur. Ils ne se sont vus qu’après le procès de Magnotta qu’ils ont traqué comme des fous pendant des années. Assez pour réfléchir à la possibilité, avec le recul, d’avoir contribué un peu à son narcissisme pervers. « Est-ce que je l’ai encouragé en lui donnant mon attention ? », se demande Deanna.

Bande-annonce de Don't Fuck with cats : un tueur trop viral

On le sait, les vidéos de chats sont parmi les plus populaires du web. Ce qu’on sait aussi, c’est que les tueurs en série commencent souvent par tuer des animaux avant de s’en prendre aux humains. Ainsi, Magnotta a attiré l’attention sur lui par des vidéos où il tuait des chats. Et c’était peut-être voulu dans son plan pour accéder à la célébrité, laisse entendre le documentaire.

Dès la mise en ligne de ces vidéos, une communauté virtuelle pour trouver l’écœurant qui avait fait ça s’est formée spontanément, une sorte de miroir inversé d’un fan club. Un hate club, on dirait. Mené par Deanna et John, qui se sont littéralement transformés en enquêteurs. 

Voilà donc à quoi réfère le titre de la minisérie : on ne niaise pas avec les chats, et leur faire du mal suscite l’indignation et l’émotion vive qui constituent l’essence de la viralité et de notre dépendance aux réseaux sociaux. J’ai même découvert là-dedans l’existence de Rescue Ink, sorte de club de gros gars contre la maltraitance des animaux prêts à casser des gueules pour leur cause.

Il n’y a rien que Deanna et John n’ont pas passé au peigne fin pour identifier le tueur de chatons. C’en est impressionnant. Et c’est là qu’on découvre le côté très exhibitionniste et rusé de Magnotta. Deanna et John ont tellement traqué Magnotta qu’ils ont fini par comprendre la psychologie derrière son personnage virtuel, lui-même caché derrière de multiples pseudonymes.

Il faut leur reconnaître ça : ils comprenaient comment Magnotta fonctionnait et ont perçu la menace. Ils connaissent ses moindres lubies, sa passion pour les films, son goût pour laisser des indices. Le gars est un fan du film Catch Me If You Can de Steven Spielberg, et ces trois-là vont jouer au jeu du chat et de la souris longtemps. Mais Deanna et John ont beau alerter la police, ils ne passent que pour deux geeks en train de s’imaginer des théories seuls devant leurs ordinateurs – ce qu’ils sont un peu.

Ce qu’on découvre aussi est la société de surveillance qui s’est déployée depuis une décennie. Magnotta n’est pas seulement traqué par une communauté virtuelle, il apparaît sur beaucoup de caméras de surveillance qu’on visionne à rebours, si bien que la série documentaire contient un nombre impressionnant d’images de lui, qui multipliait déjà les selfies. Jusqu’à son arrestation filmée à Berlin, alors qu’il était dans un cybercafé à se scruter lui-même.

Mais rien ne surpasse l’horreur de sa vidéo du meurtre de Jun Lin, qui représente le pire cas connu chez nous de snuff movie. Une sorte de naïveté ou d’innocence a été détruite avec ça, quand la vidéo a été disponible facilement pendant quelques jours sur le web. Je me souviens, j’avais regardé les premières secondes et refusé de voir le reste, pour protéger ma santé mentale. Quand on voit la policière Claudette Hamlin, qui a vu le corps démembré de la victime, craquer devant la caméra, on comprend l’impact du réel dans toute cette excitation virtuelle. Elle n’a pas vécu ça derrière un écran d’ordinateur, elle. 

Je me remercie de n’avoir jamais regardé ça, alors que, sans avoir rien vu, j’en veux encore à ce psychopathe d’avoir abîmé mon souvenir de la chanson True Faith de New Order, associée à cette horreur malgré nous.

Les moments qui causent le plus de malaise dans cette série sont ceux où l’on fait parler la mère de Magnotta, pour qui les défenseurs des animaux sont les vrais fous, et qui adhère aux défenses complotistes de son fils sur lesquelles la réalisation joue pour étirer le suspense. La petite morale à deux sous balancée rapidement à la fin passe mal aussi, quand une série mise exactement sur un voyeurisme qu’elle dénonce et qui va faire sa popularité. Sauf que, malgré ses maladresses, et peut-être même sans le savoir, Don’t Fuck with Cats en dit beaucoup sur notre réalité virtuelle et les nouveaux monstres qu’elle engendre. Parmi lesquels se trouvent peut-être aussi ceux qui ne font que regarder.

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