Les billets pour la Leçon de cinéma de Denis Villeneuve, aux Rendez-vous Québec Cinéma (RVQC, anciennement Rendez-vous du cinéma québécois) se sont écoulés en moins de 30 minutes, il y a deux semaines.
Rapidement, les organisateurs ont réagi et déplacé l'événement de la Bibliothèque nationale au Théâtre Maisonneuve pour pouvoir accueillir plus de gens, plus de 1450, plus précisément. Et encore, dimanche après-midi, à quelques minutes du début de la rencontre, des retardataires cherchaient encore à se procurer un laissez-passer qui aurait été oublié entre deux chaises.
Chaque année, les Leçons de cinéma des RVQC donnent lieu à de formidables échanges, des entrevues en profondeur et très maîtrisées, menées par une Marie-Louise Arsenault attentive et informée, extraits de films et anecdotes savoureuses à l'appui.
Après un survol du parcours de l'invité(e), au gré de questions portant autant sur l'aspect technique du septième art (images, son, etc) que sur les relations humaines (acteurs, auteurs, réalisateurs, collaborations marquantes), les souvenirs de tournage, les bons coups comme les échecs et les ambitions à matérialiser dans le futur, le public a droit à un moment pour soulever ses propres interrogations. Cette dernière étape a toutefois été occultée avec Denis Villeneuve, la matière à aborder étant trop riche.
Dans les dernières années, Marc Labrèche, Jean-Marc Vallée, Xavier Dolan, André Turpin, Podz, les comédiens et auteurs de Série noire, Pascale Bussières et Anne Dorval, entre autres, se sont prêtés au jeu de la Leçon de cinéma des Rendez-vous. La semaine prochaine, la costumière Renée April (lundi) – qui a d'ailleurs collaboré avec Denis Villeneuve sur Blade Runner 2049 - et Patrick Huard (jeudi), porte-parole de la présente édition du festival, s'y soumettront à leur tour.
«Imposteur»
Denis Villeneuve est entré sur scène dans une ovation sentie, digne de celles qu'on réserve généralement aux chanteurs et humoristes qui foulent les mêmes planches. Sitôt assis, il a blagué sur le fait que, justement, le «tête-à-tête» devait d'abord être «intimiste», ce qui a fait rigoler l'assistance.
Celui qui, petit, était fasciné par l'œuvre de Steven Spielberg, a évoqué sa passion de jeunesse pour les sciences, mais aussi son éveil rapide au cinéma, lequel est passé, face aux produits québécois, par le cinéma d'animation. «C'est cet imaginaire-là qui m'a formé», a-t-il avancé. Déjà, lors de ses études à l'UQAM, avant même de vivre l'expérience La course destination monde, il avait un intérêt pour la science-fiction.
Villeneuve a avoué se sentir un peu «imposteur» d'être l'une des têtes d'affiche des RVQC, parce que son terrain de jeu professionnel se situe désormais principalement aux États-Unis ou ailleurs dans le monde. Mais il a, en contrepartie, insisté sur sa sensibilité toute québécoise. «Je sais que mon regard a été forgé par des gens d'ici», a-t-il assuré. Sur ses neuf longs-métrages, il estime qu'un seul parle véritablement du Québec : Polytechnique. «Je sens que ma carrière va être un long voyage pour revenir ici», a décrété le cinéaste.
Il a envoyé une flèche à la téléréalité - cette «merde» qui a permis à Donald Trump d'être élu, a-t-il relevé d'un air candide – dans la foulée d'un bref retour élogieux sur La course destination monde, et les courts-métrages que les participants devaient y fignoler chaque semaine, avant de soutenir, sans renier ses premières offrandes, qu'à ses débuts, il ne «savait pas vraiment faire du cinéma». Il juge que son contenu était alors doté de «beaucoup d'expression et d'un manque de communication».
Approcher les acteurs
Cet entretien avec Denis Villeneuve a sans doute régalé les amoureux purs et durs du grand écran en explorant plusieurs facettes : on a jasé de l'approche quasi documentaire d'Incendies, de l'admiration de Villeneuve pour le directeur d'images André Turpin, l'un des réalisateurs qui l'a le plus influencé dans sa vie (un ami d'adolescence, avec qui il dépensait jadis son argent de poche pour se procurer des (pellicules)16 mm, un choix «difficile à expliquer» à ses parents, a-t-il ricané), l'importance qu'il accorde au cadrage et à la direction photo dans ses productions, l'irruption de l'épopée Blade Runner 2049 dans sa vie et ses relations avec les acteurs.
À cet égard, il a raconté s'être déjà caché dans une salle sombre, il y a longtemps, pour écouter René-Richard Cyr donner des instructions à des comédiens. Il a d'ailleurs conseillé à tous les étudiants en cinéma de faire pareil, d'observer un metteur en scène œuvrer au théâtre pour bien maîtriser la direction d'artistes.
En dirigeant Jake Gyllenhaal dans Enemy, il s'est découvert une nouvelle capacité et un nouveau plaisir à épauler les acteurs, un éveil qu'il n'avait pas avant, a-t-il admis. «Je ne pense pas que je leur laissais la place...», a-t-il observé.
En tant que réalisateur, il se positionne autant comme le meilleur ami du scénariste que comme son pire dictateur, pour pouvoir mettre le scénario à sa main. «Il faut que j'aie un lien intime avec l'histoire», a-t-il noté, avant d'enchaîner avec un long épisode au cours duquel il avait modifié des scènes de Sicario avec Benicio Del Toro. Il se dit dorénavant conscient de l'importance d'accorder un espace créatif aux acteurs qu'il embauche.
Avec les femmes, il veille à ne jamais s'engager dans un rapport de séduction, une ambiguïté qui peut rendre malsaine une ambiance de travail. D'avoir été longtemps «en lien avec une actrice» (il a été en couple pendant quelques années avec Macha Grenon) l'a sensibilisé encore davantage à cette réalité, même s'il sait à quel point la séduction est présente dans l'industrie du cinéma.
«Un accident»
Son arrivée à Hollywood n'était ni plus ni moins qu'un «accident», a commenté Denis Villeneuve ; il martèle qu'il ne rêvait pas à un tel destin à l'époque de La course destination monde. Or, il ne cache pas avoir du plaisir à bosser là-bas, à avoir les moyens de réaliser des films de science-fiction à la hauteur de sa vision. Oui, il pourrait un jour revenir filmer au Québec, mais...
«Je me sens étrangement chez moi, là-bas. C'est un espace où je ne me sens pas aliéné», affirme-t-il à propos du système américain, auquel il reconnaît des défauts, mais aussi plusieurs qualités.
Ayant sélectionné plusieurs échantillons chargés d'action et de suspense de ses différents films pour illustrer ses explications pendant cette Leçon de cinéma – il s'en est d'ailleurs excusé à quelques reprises -, Villeneuve a longuement détaillé le contexte lié à ces extraits, au grand bonheur des spectateurs, qui étaient accrochés à ses lèvres.
Blade Runner 2049 a obtenu cinq nominations à la prochaine cérémonie des Oscars, qui se tiendra dimanche prochain, le 4 mars.
Dans les prochaines années, Denis Villeneuve, qui nous a offert cinq films en six ans, compte mettre un peu plus la pédale douce sur les projets, citant à cet effet l'un de ses mentors, Roger Frappier. Pour l'instant, c'est l'adaptation de la franchise Dune qui l'occupe, et qui l'accaparera pour au moins deux ans.
Quelques phrases de Denis Villeneuve lors de sa Leçon de cinéma
«Je suis le contraire de Xavier Dolan» (Par rapport au propos de ses films)
«Pour moi, les dialogues, c'est pour le théâtre et la télé, ce n'est pas pour le cinéma...»
«J'ai découvert assez rapidement que je suis capable de travailler avec les fous. Mais je ne suis pas capable de travailler avec les narcissiques...»
«(La direction d'acteurs), c'est une question d'individus, de sensibilité, pas de sexe ou de genre» (Par rapport à son lien avec les actrices sur les plateaux)
«Un réalisateur est comme le père du plateau»
«Avec les acteurs et actrices, tu vas développer une grande intimité, je vais jouer avec leurs émotions...»
À voir aussi:
http://quebec.huffingtonpost.ca/2018/02/25/conversation-avec-denis-villeneuve_a_23370672/Bagikan Berita Ini
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