
Son horaire n’avait pourtant rien à voir avec celui d’un convalescent. Plutôt celui d’un président de la République. Il a lu une dictée retransmise en direct sur trois continents dès 9 h pour ensuite passer 90 minutes en compagnie de l’animatrice Catherine Perrin à l’émission de radio Médium Large sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première. À 13 h 30, il offrait une classe de maître au Centre des arts de Shawinigan pour ensuite se livrer en entrevue à l’émission 360 PM sur l’antenne régionale de Radio-Canada en fin d’après-midi avant une séance de signatures.
Entre chaque étape du marathon littéraire que constitue son séjour trifluvien, des discussions avec les gens, toutes sortes de gens. Tous apparemment impatients de se confier à lui, de lui parler en vrai, comme il dit. L’écrivain possède ce don singulier de susciter la confidence, sans la réclamer. Il aurait dû être journaliste.
«Quand vous écrivez des livres qui sont une invitation à vivre et à être vrai, les gens y vont, suggère-t-il comme explication. Ça tient aussi au type de Salon. On serait à Montréal, il y aurait une énorme ligne et on n’aurait que trois minutes; ici, on peut se parler. Aussi, je dois dire que j’entends quand les gens parlent. C’est Lacan qui disait: ‘‘N’est dit que ce qui est entendu.’’ Animalement, s’ils sentent que vous n’entendez pas, les gens se taisent.»
Jardin entend, donc. Des trucs qui le renversent à chaque fois et qui concernent autant son implication sociale que ses écrits. «Tout à l’heure, une femme est venue me voir. Elle m’a dit qu’elle ne travaille pas pour Lire et faire lire mais pour un organisme local où on lit aussi aux enfants: la Maison Coup de pouce. Ils ont organisé une vente de livres. Un gamin de 10 ans est venu et il a acheté un livre à 5 $ pour le donner à la bibliothèque. C’est incroyable! Ce n’était pas un enfant de milieu très favorisé et 5 $ représentait beaucoup d’argent pour lui. Elle m’a dit qu’elle a alors compris pourquoi elle faisait ce qu’elle faisait. C’est pour vivre ce genre de moment qu’elle s’implique. C’est tout à fait le sens de ma propre démarche. Voilà ce que ça m’apporte de venir chez vous!»
Il est tout aussi renversé des confidences intimes que lui réservent les lecteurs de son dernier roman, Ma mère avait raison, qui dessine le portrait d’une femme fantasque mais parfaitement libre. «C’est totalement inouï! Là, tout juste, une femme est venue spécialement de Montréal pour me voir. Elle m’a dit que ça fait des années qu’elle vit à quatre adultes dans une maison et en lisant mon bouquin, elle s’est sentie comprise pour la première fois. Elle m’a raconté sa vie. Ici, c’est histoire sur histoire, en rafale! Il y avait ce couple tout à l’heure qui voulait me raconter leur vie. Je vais leur reparler parce qu’ils avaient besoin de temps. Ils m’ont dit qu’ils n’en peuvent plus de sentir le jugement sur eux. Je ne connais pas leur vie mais c’est incroyable qu’ils tiennent à me la raconter.»
À Shawinigan, dans sa classe de maître offerte à une trentaine de personnes, que des femmes ou presque, l’écrivain a senti un intérêt qui l’a touché. «Les questions des gens étaient vraiment passionnantes. De vraies et puissantes questions. Je m’étais bien préparé pour cette classe mais les balles m’ont été renvoyées de belle façon. J’ai été très impressionné. J’ai eu l’impression qu’au moins une réponse que j’ai donnée à une jeune femme lui a fait découvrir quelque chose auquel elle n’avait pas pensé, qu’une porte s’est ouverte dans sa tête. Ça, c’est merveilleux! Je préfère n’être qu’avec trente personnes et que des portes s’ouvrent pour de vrai que de faire semblant devant une foule.»
Ne pas faire semblant. En classe de maître comme en écrivant. «Pour écrire, il faut être au cœur de sa propre vérité. N’écrivez que ce que vous êtes le seul au monde à pouvoir écrire», a-t-il prescrit à ses auditeurs. Il est allé plus loin en leur affirmant qu’ils ne devaient en aucune façon s’empêcher d’écrire quelque chose de peur que cela puisse blesser un proche. «On ne peut pas se censurer. Ou alors, c’est mieux de faire autre chose que d’écrire. Ce serait comme de vouloir faire la guerre en refusant qu’il y ait des morts. Il ne faut écrire qu’en totale liberté.»
L’exigence paraissait lourde à certains. Ils ont mieux accepté ce secret, tout aussi immuable: «Il faut n’écrire que dans la joie. Pas la gaieté, mais la joie, affirme Alexandre Jardin. La vérité, c’est la joie. Dès que le travail vous est fastidieux, c’est que vous n’êtes déjà plus dans votre vérité et que ce que vous écrivez est probablement mauvais. Écrire sans joie, c’est comme faire l’amour avec quelqu’un qu’on n’aime pas.»
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